Texte de Lise Ott, sur l'installation "SUNNY BEACH"
Calades n°99, mai 1989

On dit qu'il est vidéaste, terme étrange que I'on aurait tort de confondre avec celui de cinéaste, même si, dans les deux cas, il s'agit de manipuler ipso facto de l'image en mouvement. On peut, sans trop se tromper, situer son acte de naissance en 1962, date B laquelle le sociologue canadien Herbert Marshall Mc Luhan publie "La galaxie Gutenberg", ouvrage dans lequel il prédit la suprématie des médias électroniques sur "la civilisation du livre". En raison de cette prophétie, la vidéo est entachée d'une aura sulfureuse et négative. Réflexion de base : la vidéo peut-elle être autre chose que ce pour quoi elle est communément employée ? Système de surveillance dans les grands magasins, les banques et les aéroports ; outil préférentiel, car plus léger, plus rapide et d'une plus grande autonomie de prise de vues que la caméra super 8, pour les cinéastes, tels Coppola, Godard ou Wim Wenders, qui préparent ainsi leurs séquences filmiques, mémoire visuelle des chorégraphies, ou référent didactique de certains plasticiens dans les musées.
Réponse : oui. Lejault le prouve, comme tous ses pareils qui exposeront leurs œuvres dans le cadre des 10èmes Journées Internationales de la Photographie et de I'Audiovisuel de Montpellier.
La vidéo qui s'est ingéniée depuis une bonne dizaine d'années d'"attaquer" et de critiquer la télévision (les publicités, les reportages, les décalages entre le discours et la réalité), parce qu'elle voulait faire une place à la création (dont seul Jean-Christophe Averty s'est porté défenseur, et aujourd'hui Michel Jaffrenou sur la Cinq), a aujourd'hui de grandes accointances avec les Arts Plastiques. Non seulement elle peut peindre, grâce au système de colorisation de l'image électronique, elle peut construire un espace (renversement des images, insertion dune image dans une autre, dédoublement, etc...), elle peut rivaliser avec la sculpture (par le moyen des installations), mais encore elle peut, à l'instar de toutes les formes d'expression d'art contemporain, proposer "un miroir autre du monde qui nous entoure", donner de l'émotion et faire rêver.

Dans le cas de Lejault, on peut distinguer une œuvre jeune (elle a à peine trois ans d'existence), imprégné d'un certain nombre de fantasmes et de réflexions propre à l'art de notre temps, et dans
laquelle le registre iconographique est parfois assez proche des réalisations de l'américain Bob Wilson, dans "Video 50" et "Le regard du sourd". Le problème des rapports amoureux est assez souvent évoqué, ainsi que celui du phénomène de la naissance, ou I'angoisse de la mort. On voit en cela que Lejault est un artiste comme un autre, même si la spectacularisation de son art est totalement spécifique.
Deux fauteuils portant chacun un moniteur, montrant I'un un visage d'homme, l'autre un visage de femme, se déplacent en cage à la manière des auto-tamponneuses.
Ailleurs quatre moniteurs montes sur une tour déversent en contre-plongée, le visage énigmatique de quatre bébés, à quelques jours de leur entrée dans le monde. Un projet différent propose de montrer au ralenti un assassinat - en quoi, on sent l’artiste assez proche d'Andy Warhol.
Dans l’installation qu'il présente à Montpellier, sous le titre de "Sunny Beach", eu égard au thème impossible de "la plage", par les Journées, François Lejault affirme avec ironie le phénomène du voyeurisme qui inonde les plages en été, d'où le fait que les spectateurs devront regarder les vidéos avec des jumelles, assis dans des cabines de plage. Mais, contrairement a ce que l'on pourrait attendre, les images qu'il fait voir, renvoient davantage a la poésie : l’évocation par exemple du bleu de la mer, par la coloration progressive d'un aquarium o~ nage un poisson.
En outre, son attrait irrépressible pour la morbidité est signal~ sur trois autres ~crans par des vols de mouettes, au-dessus d'une décharge. Aussi provocatrice qu'elle puisse paraître, et aussi déroutante qu'elle s'affiche, cette œuvre suggère a chacun une fiction qui n'est pas autre chose que la démystification des multiples facettes dont notre monde est aujourd’hui paré. La puissance esthétique et émotionnelle avec laquelle "Sunny Beach" s'affirme, est la preuve de son caractère d'œuvre d'art.
En tout cas, avec ses rêves inouïs qu'il emprunte à l’astrophysique et à la fantasmagorie scientifique du XVIIIe siècle (électromagnétisme, par exemple), ses lunettes, sa discrétion et sa barbe, la vidéo, Lejault l'a dans la peau.